LUMIERE
Cette page a pour vocation d'essayer de parler de mon travail de créateur lumière au travers des différents spectacles auxquels j'ai collaboré.
Les pages qui suivent offrent un aspect plus technique de la lumière et tentent de parler de cette dernière, si méconnue dans son approche scénique.
Sur les pages notes figurent des éléments plus précis sur chaque spectacle.
Sur scène, pour moi, l'approche de la mise en lumière est une approche sensible. Pour construire la lumière d'un spectacle, je pense d'abord à la façon avec laquelle elle entre et se propage dans l'espace avant de rencontrer les surfaces qu'elle révèle. Elle est flux et énergie avant d'être construction esthétique et temporelle.
La Qualité de Lumière
Bien que nous puissions utiliser toute source productrice de lumière en spectacle, la plupart du temps la lumière scénique réside dans l'utilisation de projecteurs. Certains ont des optiques plus ou moins complexes. La lumière est concentrée le plus souvent à l'aide d'un réflecteur ou d'un miroir et dirigée vers l'avant de l'appareil. Une grille, une vitre, une ou plusieurs lentilles sont le premier traitement que subit la lumière ; il influe directement sur sa qualité.
Les projecteurs de type cycliodes, les pars, les mandarines ou les blondes sont des appareils qui n'ont pas réellement d'optique à l'inverse des projecteurs à découpes qui possèdent jusqu'à 4 lentilles. Cela est important car la qualité de lumière qui en résulte est différente.
Plus la source d'émission de lumière est petite plus les ombres créées par les objets éclairés sont précises. Le faisceau peut être modifié par l'ajout de filtres diffuseurs ou de filtres colorés. Les diffuseurs modifient la netteté du faisceau mais aussi sa densité et la qualité des ombres produites. Certains filtres colorés sont appelés correcteurs car ils sont étalonnés pour la caméra, ils donnent pour l’œil des sensations de blanc(s) ou de couleurs.
Dans les projecteurs, les sources de lumière ou les lampes (voir cette rubrique) produisent la lumière. Les lampes à filament offrent un spectre continu (qui contient toutes les couleurs visibles en plus ou moins grande quantité). Les autres sources dont les lampes à décharge et les leds produisent un spectre qui a des lacunes dans certaines parties du spectre. La sensation produite est différente.
Dans l'Opéra "la Capricciosa Correta", que j'ai mis en lumière, le fond de scène est travaillé avec des lampes flood type lampe photo, les ombres produites rayonnantes au sol depuis l'axe sont produites par une blonde qui leur donne cette densité particulière alors que les bustes des interprètes sont éclairés en latéral avec des svobodas qui offrent cette densité et cette qualité de lumière particulière.
Dans "Une Maison en Normandie", j'ai réalisé une scénographie hyperréaliste et la lumière est elle aussi inspirée d'un naturalisme cinématographique. Un travail sur les axes et les qualités de blancs donne du tangible à cet espace théâtral.
Le public est comme plongé dans un fragment du réel. Une projection vidéo filmée depuis mon jardin en Normandie apparaît derrière une partie vitrée en colombages. Enorme contrainte du vitrage car si l'on accepte d'y apercevoir les reflets des comédiens, nulle question d'y voir en réflexion le moindre projecteur. La vidéo et la lumière sont travaillées de concert.
Une portion oblique de l'espace s'offre aux spectateurs. La lumière est sans cesse trichée pour donner le sentiment que l'on se trouve à l’intérieur de cette maison et que nous y vivons le temps d'un week-end estival à toutes les heures, sous une lumière naturelle...
La qualité de la lumière, par le choix et la position des sources donne présence aux volumes (et aux corps) éclairés. Elle permet de les isoler ou de les lier, elle crée rythmes et espaces.
C'est ce que l'on retrouve dans "Neptune", chorégraphie de Marion Ballester, où les ancrages des corps changent par la densité des ombres, l'espace s'ouvre, se ferme et son rythme est structuré par la lumière.
La Couleur
Pour moi, toute lumière est colorée.
Un projecteur sans filtre possède une teinte qui lui est propre.
Lorsqu'on parle de blanc, je ne peux m'empêcher de penser : lequel ?
Lorsqu'on place un filtre devant un projecteur, on enlève une partie des longueurs d'ondes de la lumière émise. A l'inverse, la création de couleur avec des leds est un processus additif.
Bien que l'on puisse réaliser une grande quantité de teintes avec ces dernières, elles sont limitées par les couleurs sources de chaque led.
Les qualités de teintes sont donc très variées entre un projecteur muni d'un filtre et une source à leds.
Dans "Pelléas et Mélisande" mis en scène par Olivier Werner, j'ai cherché la "lumière de l'ombre" pour être fidèle à Maeterlinck.
Cela s'est traduit par l'usage de teintes exclusivement vertes.
Un vert-jaune cireux pour les scènes d'intérieur, un vert azuré pour l'extérieur.
Inspiré de la lumière réfléchie sur l'herbe ou filtrant au travers de feuilles, cela a porté toute l'esthétique du spectacle.
Dans "Hiver" de Jon Foss, deux principes de teintes : bleu et rouge.
Un espace ouvert extérieur indiqué par une verticale lumineuse bleue et un espace intérieur intime, indiqué par une horizontale rouge.
La teinte de la lumière va de pair avec la scénographie lumineuse des ces lignes.
L'éclairage des interprètes demande un traitement très particulier pour composer avec les deux teintes dominantes extrêmement saturées.
Dans "Obstinée" de Yann Raballand, l'idée est de ne révéler la vraie couleur des costumes que lors des dix dernières minutes du spectacle.
Avant ce moment, toute la lumière est colorée pour permettre cette révélation.
Par l'usage de sources monochromes (sodium basse pression) puis de teintes très saturées, les couleurs sont sans-cesse dénaturées, pour finir sur une lumière très blanche (avec un choix de filtre permettant une qualité de blanc choisie avec Dominique Fabrique, costumière).
Dans mon approche scénique, j'ai d'abord beaucoup travaillé les lumières colorées avec des propositions visuelles radicales très fortes. Petit à petit, je me suis davantage intéressé aux densités et aux diverses qualités de blancs. Mais c'est encore en terme de coloriste que je peux prétendre apporter mon œil et mon savoir. Une robe ne sonne pas bien pour le costumier Patrice Cauchetier ? Nous adaptons la teinte d'une partie des filtres pour éviter afinner la teinte finale.
Si on place le même filtre sur toutes les directions de lumière qui entrent sur scène, pour moi, cela a tendance à écraser le volume et l'assourdir. Une très légère différence de teinte entre les divers axes redonne du volume et offre une vibration. C'est comme cela que je choisis en général des teintes plus saturées pour des axes contre-jour que pour des directions de face.
Un peu à la manière des peintres Impressionnistes qui travaillent les ombres colorées dans la complémentaire de la lumière principale. Cette "histoire" de complémentaires est d'ailleurs issue directement de notre vision : notre œil cherche cette teinte opposée. Pousser légèrement la saturation de celle-ci la rend lisible comme un geste volontaire affirmé.
Tout cela vient à dire que le geste de celui qui éclaire est primordial. Certains parleront de travail d'équipe comme François-Eric Valentin qui essaye d'instituer des principes que je trouve sans intérêt réel. Difficile de créer la lumière en équipe, difficile de la réaliser sans équipe, et indissociable de l'équipe artistique et des interprètes. Reconnaissons-lui le talent d'être un des rares à avoir écrit sur la lumière. Mais dans ce domaine, il n'y a pas de recettes toutes faites. Tout comme pour la cuisine : la lumière est une alchimie, lisons Hervé This et sachons connaître les principes et les ressorts d'une recette. Maîtrisons nos outils et donnons place à la saveur et à l'art ! Face, latéraux, contre-jours sont des directions que l'on enseigne et qu'il faut ensuite dépasser pour transformer l'éclairage en lumière. Combien de temps ai-je attendu sur "les Perses" d'Echille (mise en scène Ollivier Werner) qu'il se passe quelque chose sur le plateau avant que je parvienne à faire fonctionner la lumière? Tout le dispositif était en place mais rien ne se passait tant que les interprètes n'avaient pas trouvé leur parcours. Difficile alors de créer une lumière convaincante ; puis il y a eu un déclic sur le plateau et la lumière est venue d'elle-même. La création lumière est au service d'un spectacle et de ses interprètes. S'il n'y a rien à éclairer, il n'y a pas de lumière. S'il n'y a pas de matériel ni d'équipe (aussi réduite ou conséquente soit-elle), s'il n'y a pas les moyens de réaliser la lumière appropriée au spectacle on peut toujours trouver des astuces et des solutions pour que la chose la plus minimaliste puisse apporter sens et esthétique.