Ces pages ont pour vocation de parler de mon travail de créateur lumière au travers des différents spectacles auxquels j’ai collaboré.

Sur scène, pour moi, l’approche de la mise en lumière est une approche sensible. Pour construire la lumière d’un spectacle, je pense d’abord à la façon dont elle entre et se propage dans l’espace, avant de rencontrer les surfaces qu’elle révèle. Elle est flux et énergie, avant d’être construction esthétique et temporelle.



DEFINISSONS...

  • Application de la lumière aux objets ou à leur entourage pour qu'ils puissent être vus ; action, manière d'éclairer ; ensemble des appareils qui distribuent une lumière artificielle.
  • Ensemble des lumières destinées à mettre en valeur un spectacle : Technicien chargé des éclairages.
  • Manière dont la lumière est distribuée ; quantité de lumière : Éclairage aveuglant.
  • Manière dont la lumière est distribuée dans un tableau par des moyens picturaux.
  • Manière particulière de voir, d'envisager quelque chose.
  • Mission de recherche du renseignement, confiée à une unité qui doit éviter le combat.

– Sur ce dernier point, le saviez-vous : la rampe chez Molière éclairait autant l’orchestre que le plateau, afin que les gens ne se fassent pas dépouiller.

C’est cette “manière particulière de voir” qui fait la richesse de celui qui réalise la lumière d’un spectacle. À l’inverse d’un éclairage destiné à une caméra, la lumière de scène s’adresse en temps réel aux yeux des spectateurs, tous différents, par leurs points de vue (au sens propre comme au figuré).
C’est la lumière qui permet de montrer ce qu’il y a à regarder et qui oriente l’attention : elle porte une esthétique et une dramaturgie. On pourrait opposer un éclairage fonctionnel (y voir) et un éclairage artistique (aider à la lecture, en déterminer l’esthétique).

La construction de la lumière d’un spectacle demande de placer et régler à l’avance toutes les sources utilisées pendant la représentation. Chaque image scénique (chaque tableau) est un équilibre, un dosage d’intensités ; les sources comme les images sont interdépendantes. Le passage d’une image à une autre permet d’écrire la conduite lumière. Avant cela, il faut connaître les paramètres de cet outil immatériel : la lumière.


Ombres

Évidence que de dire qu'il n'y a pas de lumière sans ombre, ou d'ombre sans lumière ? Longtemps imprégnés d’une esthétique naturaliste, nos “pères” éclairagistes ont fait la chasse à l’ombre pour n’en laisser qu’une : celle qu’aurait pu apporter le soleil.
Dans l'éclairage de scène des années 80–90, une autre tendance privilégiait l'image globale du plateau au détriment de la visibilité des comédiens. On peut mettre un visage dans l’ombre, mais encore faut-il que cela serve un propos.
Aujourd’hui, nous pouvons construire des images fortes en jouant des présences, sans imposer systématiquement la pénombre. Pour moi, l’ombre est indicatrice de volume, mais surtout de dynamique : sa densité donne de l’assise, de l’ancrage. Si plusieurs ombres sont présentes et non assumées, elles brouillent la lecture. Si elles sont travaillées, elles deviennent porteuses de sens.


La Qualité de Lumière

Bien que nous puissions utiliser toute source productrice de lumière en spectacle, la plupart du temps la lumière scénique réside dans l’utilisation de projecteurs. La lumière est concentrée par un réflecteur ou un miroir, puis “traitée” par des grilles, vitres, lentilles : cela influe directement sur sa qualité.
Les cycliodes, pars, mandarines ou blondes n’ont pas réellement d’optique, à l’inverse des découpes qui peuvent posséder plusieurs lentilles. Plus la source est petite, plus les ombres sont précises. Les diffuseurs modifient la netteté, la densité, la qualité des ombres. Les lampes à filament offrent un spectre continu ; les décharges et les leds ont des lacunes : la sensation produite est différente.

Dans l'Opéra "La Capricciosa Correta", le fond de scène est travaillé avec des lampes flood (type photo). Les ombres rayonnantes au sol depuis l’axe sont produites par une blonde, alors que les bustes des interprètes sont éclairés en latéral avec des svobodas, qui offrent une densité et une qualité particulières.

Dans "Une Maison en Normandie", j’ai réalisé une scénographie hyperréaliste et une lumière inspirée d’un naturalisme cinématographique. Un travail sur les axes et les qualités de blancs donne du tangible à cet espace théâtral.
Une projection vidéo filmée depuis mon jardin apparaît derrière un vitrage en colombages : énorme contrainte, car si l’on accepte d’y voir les reflets des comédiens, nulle question d’y laisser apparaître le moindre projecteur. La vidéo et la lumière sont travaillées de concert.

La qualité de la lumière, par le choix et la position des sources, donne présence aux volumes (et aux corps). Elle permet d’isoler ou de lier, crée des rythmes et des espaces.
C’est ce que l’on retrouve dans "Neptune", chorégraphie de Marion Ballester : les ancrages changent par la densité des ombres, l’espace s’ouvre, se ferme, et son rythme est structuré par la lumière.


La Couleur

Pour moi, toute lumière est colorée.
Un projecteur sans filtre possède une teinte qui lui est propre. Et lorsqu'on parle de blanc, je ne peux m’empêcher de penser : lequel ?
Mettre un filtre, c’est retirer une partie des longueurs d’onde. La couleur led est additive. Les rendus sont donc très variés entre un projecteur filtré et une source à leds.

Dans "Pelléas et Mélisande" (mise en scène Olivier Werner), j’ai cherché la “lumière de l’ombre” pour être fidèle à Maeterlinck. Cela s’est traduit par l’usage de teintes exclusivement vertes : un vert-jaune cireux pour l’intérieur, un vert azuré pour l’extérieur.

Dans "Hiver" de Jon Fosse : deux principes de teintes, bleu et rouge. Un extérieur bleu, un intérieur intime rouge. L’éclairage des interprètes demande alors un traitement très particulier.


Dans "Obstinée" (Yann Raballand), l’idée est de ne révéler la vraie couleur des costumes que dans les dix dernières minutes. Avant, toute la lumière est colorée pour préparer cette bascule.

J’ai d’abord beaucoup travaillé les lumières colorées, avec des propositions radicales. Puis je me suis davantage intéressé aux densités et aux qualités de blancs. Mais c’est encore en coloriste que je peux prétendre apporter mon œil et mon savoir.

Il n’y a pas de recettes toutes faites. La lumière est une alchimie : maîtriser les outils, puis donner place à la saveur et à l’art. Face, latéraux, contre-jours : on les enseigne, puis il faut les dépasser. La création lumière est au service d’un spectacle et de ses interprètes. S’il n’y a rien à éclairer, il n’y a pas de lumière.